27 mai 1891
Debussy et moi aimons fureter à la librairie de l’Art indépendant et, il y a quelques jours, nous sommes tombés sur Joseph Paladan, Grand Maître et fondateur de l’ordre kabbalistique de la Rose-Croix.
Je n’étais pas en terre inconnue puisque plusieurs années auparavant, Delatour m’avait parlé de ce grand « Sâr Paladan » et même conseillé un de ses livres : « Le Vice suprême » ; je dois dire que j’avais apprécié le contenu de cette ésotérique lecture et avais donc un à priori favorable sur cet homme à la barbe aussi fournie qu'un buisson sauvage.
Dans la discussion, il nous glissa qu’il souhaiterait que Claude et moi intégrions son église puis rajouta avant de nous quitter qu’il cherchait un maitre de chapelle … proposition à peine voilée à laquelle ni Claude, ni moi n’avons encore répondu.
Pour l’instant. Car en ce qui me concerne la question mérite d’être étudiée. Un retour aux sources de la simplicité et un approfondissement des valeurs spirituelles ne seraient pas pour me déplaire. Reposer mon esprit de l’agitation et des vicissitudes de la vie montmartroise dans laquelle je baigne jour et nuit, voire même nuit et jour, pourrait être salutaire à mon âme. Sans compter qu’une musique empreinte de religiosité me ramènerait sur ce chemin que Maître Vinot (mon premier professeur à Honfleur) m’avait fait découvrir. Plus j’écris, plus j’y pense et plus j’y pense, plus j’envisage d’accepter ce statut de maitre de chapelle. Il faut vite que j’en parle à Claude.
Mais si mon évolution spirituelle est envisageable, ma descente immobilière est consommée ; ne pouvant plus suivre le rythme infernal et mensuel de mon loyer, j’ai réussi à obtenir du propriétaire qu’il me loue la pièce du rez-de-chaussée. Et puisque tout est proportionnel, en descendant de 2 étages, je paye donc 2 fois moins cher pour 2 fois plus petit. Si petit que " placard " me semble d’ailleurs plus approprié que pièce.
Bien que " placard " évoque plutôt un rectangle, il se trouve que le mien, de placard, est une sorte de carré carré carrelé sans carreau, le tout agrémenté d’une touche d'exotisme, sous forme d’un long boa en fonte ayant eu l’idée saugrenue de s’installer dans ma " chambre " et, non content de la traverser d’est en ouest, le reptile passe ses journées à digérer les eaux ménagères qui se déversent en cascades à intervalles irréguliers dans son long corps, accablant ainsi mes oreilles de ses assourdissants borborygmes.
Outre le bruyant tube-animal, mon minuscule espace contient un lit qui prend toute la place, laissant juste un petit coin pour mon coffre « à tout ranger ».
Tout est tellement compact que même la porte ne peut plus entrer dans la pièce quand on la pousse. Elle laisse à peine un entrebâillement par lequel je me glisse afin de pénétrer dans mon chez moi.
Mais l’exiguïté du lieu-dit " ma chambre " ne m’empêche pas, assis sur mon lit, de calligraphier ou bien d’affabuler aux crayons tout ce qui me passe par la tête.
À ce propos, je dois avouer que si j’aime qu’on écoute ma musique, en revanche je ne souhaite pas que l'on voie mes dessins, et, hormis Conrad, mon cher et tendre frère bien aimé, personne ne les verra jamais.
À ce propos, je dois avouer que si j’aime qu’on écoute ma musique, en revanche je ne souhaite pas que l'on voie mes dessins, et, hormis Conrad, mon cher et tendre frère bien aimé, personne ne les verra jamais.
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