courir derrière les escargots


13 juin 1890
Ces derniers mois je bois plus que je ne le devrais. Alphonse m'a dit que l'absinthe est l'anesthésique qui permet de supporter l'opération de la vie. Tiens donc ? Pourtant " monsieur le pauvre " ne se sent pas en mal … au contraire même, puisque j'ai réalisé un de mes rêves ; quitter " l'extra-muros " rue Condorcet pour planter mon âme en plein coeur de Montmartre; installé dans une petite chambre en haut de la rue Cortot, au 6. Je ne suis qu'à quelques pas du Sacré-Cœur derrière lequel, parfois, je contemple discrètement les religieuses dans leur enclos qui taillent les arbres fruitiers, en les enviant d'avoir trouvé l'Essentiel. De ma piaule au dernier étage, la vue s'étend jusqu'à la frontière belge, c'est dire si je domine ce maquis, cette capitale des artistes, cet immense atelier.
Mes nuits blanches au Chat noir, en compagnie des Verlaine, Mallarmé et autres illustres inconnus, s'écoulent jusqu'à ces petits matins où, plombé de fatigue et lesté d'alcool, le chemin du retour jusqu'à ma chambre me semble, certains jours, aussi éprouvant que marcher dans la mer… comme dans ces rêves où j'essaye de fuir mais où mes jambes sont aimantées aux pavés et faire un pas demande un effort surhumain … comme une étrange impression de courir derrière les escargots.        
Mais quelques heures de sommeil suffisent à me redonner des ailes et vers midi,  
je suis prêt à retourner affronter le jour et la nuit.
En juillet dernier, lors de l'Exposition Universelle, ma découverte et mon engouement pour la musique roumaine ne m'ont toujours pas quitté et m'inspirent encore pour mes Gnossiennes. Autant la nuit je tape de rudes saloperies pour Salis, pour l'argent, autant le jour je m'amuse à composer sérieusement. Pour la gloire ?
Déjà 20h. La nuit s'annonce, il est temps pour moi de m'absinther.

1 commentaire:

  1. Courir derrière les escargots d'accord, mais les rattraper c'est mieux, on en veut encore, ce blog doit être vu avec ou sans lunette.

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