Quel chauvinisme imbécile et bas ! « Le patriotisme consiste à préférer passionnément la France. » Cela n’est pas vrai. Le patriotisme consiste, pour un Français, à bien connaître la France, ses qualités et ses défauts, ses vertus et ses vices, ses lumières et ses ténèbres, afin de pouvoir corriger ses défauts, atténuer ses vices, dissiper ses ténèbres, et faire servir l’accroissement de ses qualités, de ses vertus, de ses lumières au progrès général de l’humanité.
Dire au Français que son devoir est de préférer passionnément la France, à l’Allemand que son devoir est de préférer passionnément l’Allemagne, à l’Anglais l’Angleterre, à l’Italien l’Italie, au Chinois la Chine, c’est créer chez tous les peuples un parti pris d’aveuglement, d’infatuation, d’injustice et de violence. Quiconque se préfère délibérément aux autres ne reconnaît aux autres qu’un droit inférieur ; et c’est le principe de tous les attentats, de toutes les iniquités. C’est la formule et la doctrine de la barbarie nationaliste ; et les instituteurs qui, à la suite de M. Bocquillon, propageraient cette théorie basse commettraient un crime de lèse-humanité et de lèse-patrie.
Misérables patriotes qui, pour aimer et servir la France, ont besoin de la «préférer», c’est-à-dire de ravaler les autres peuples, les autres grandes forces morales de l’humanité. La vraie formule du patriotisme, c’est le droit égal de toutes les patries à la liberté et à la justice, c’est le devoir pour tout citoyen d’accroître en sa patrie les forces de liberté et de justice.
M. Bocquillon a beau parler en même temps du respect sincère pour les autres nations. S’il y a pour nous dans tous les cas un devoir de «préférence raisonnée» à l’égard de notre pays, si nous
JEAN JAURES – AOUT 1905
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