"Monsieur le pauvre" de jour, "Gymnopédiste" de nuit

5 mars 1889
Aujourd'hui encore, je me suis réveillé tard … le propriétaire m'a réveillé tard serait plus conforme à la réalité. Ah ! Si ce grigou pouvait être aussi prompt à réparer la fuite qui altère mon sommeil qu'à réclamer ses 15 frs de loyer mensuel ! Son arythmique " toc toc " à ma porte contrastait avec le " floc floc " métronomique de cette maudite fuite. C'est barbe hirsute et cheveux longs en bataille que j'enfilais ma chemise en pilou puis allait ouvrir à contrecoeur.            
Je l'invitais officiellement à revenir en fin de semaine afin de toucher son dû et, entre deux portes, lui glissais deux mots sur l'évasion aquatique qui inondait lentement mais sûrement le coin sud de ma chambre. Après quelques sonores râleries, le bougre disparaissait de ma vue mais pas de ma vie. Dommage. 
Ces temps-ci, je fréquente de plus en plus les cabarets et de moins en moins Notre-Dame. Dieu ne m'en voudra pas … du moins je l'espère. A ce propos, je me demande parfois si je ne serais pas Dieu lui-même, oui, j'ai remarqué qu'en priant je me parlais à moi- même. Mais oublions cela et retournons sur cette terre terreuse. Le fait est qu'il serait sérieusement temps pour moi d'avoir quelques rentrées d'argent ; le pécule que m'a laissé mon père fondant aussi inexorablement qu'un sucre d'orge dans la bouche gourmande d'un marmot. Et si ma fréquentation nocturne et régulière, entre autres du Chat noir, m'apporte richesse morale et artistique il n'en va pas de même pour ma richesse financière. L'idéal serait de joindre l'utile à l'agréable. Peut-être devrai-je m'arranger pour faire savoir à qui veut m'entendre que je recherche un travail comme tapeur à gages. La musique légère pèsera certainement plus lourd dans mes poches que mes compositions. Ou pourquoi ne pas donner des cours de piano à quelques progénitures de nantis ? 


    

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